Éditorial : Politique, argent, équité. Quoi d’autre ?

Photo : Maxime Doré (Unsplash.com)

Il appert de plus en plus que l’argent et la politique retardent la mise en place de nouveaux horaires à l’heure pour les paramédics de Saint-Jean-Port-Joli et de La Pocatière. Sinon, comment expliquer ces changements de critères évoqués par le premier ministre François Legault la semaine dernière pour justifier la conversion des horaires de faction, alors que les deux entreprises ambulancières se rapprochaient ou se qualifiaient déjà depuis longtemps aux anciens établis sous le précédent gouvernement ?

La question se pose d’autant plus qu’il existe plusieurs exemples de conversion d’horaire de faction en horaire à l’heure un partout au Québec depuis l’élection de la CAQ pour des équipes de paramédics qui totalisaient ou s’approchaient, comme c’est le cas à Saint-Jean-Port-Joli et La Pocatière, de cette norme de 28 h arrêtée en 2017. Il suffit de prendre l’exemple de Témiscouata-sur-le-Lac qui a bénéficié de cette conversion en début d’année. Pourtant, selon les données qui ont été portées à notre attention, en 2020-2021, l’horaire de faction totalisait 26,66 heures par semaine contrairement à 27,69 heures pour Saint-Jean-Port-Joli. À La Pocatière ? 28,47 heures pour la même période !

Fait à rappeler, à l’été 2020, lors du passage de François Legault à Rivière-du-Loup, les paramédics de Témiscouata-sur-le-Lac avaient fait le voyage jusqu’à l’Hôtel Universel afin de se faire entendre du premier ministre sur cette question. Visiblement, l’écoute a été bonne, sinon pourquoi cette conversion, alors que Saint-Jean-Port-Joli et La Pocatière multiplient les interventions dans les médias depuis près de trois ans sur le même sujet ?

Longtemps, à micro fermé, il a été attribué à la députée de Côte-du-Sud Marie-Eve Proulx de ne pas avoir poussé suffisamment pour les paramédics de sa circonscription. Le politique a souvent le dos large, avouons-le, mais à la lumière de la déclaration de François Legault sur les nouveaux critères « objectifs » dans l’analyse des dossiers d’horaires de faction, tout porte à croire qu’il y a aussi les considérations monétaires qui ont rattrapé les bonnes intentions des députés caquistes qui avaient démontré leur volonté, contre vents et marées, de mettre fin aux horaires de faction lors de la dernière campagne provinciale.

Ramenons-nous au début 2020, avant le début de la pandémie. La Municipalité de Saint-Jean-Port-Joli avait à l’époque reçu une missive du ministère de la Santé et des Services sociaux faisant état d’une somme de 800 000 $ pour procéder à la conversion d’horaire du mobile 87 sur son territoire. Dans ses discussions avec la députée de Côte-du-Sud, le maire de Saint-Jean-Port-Joli Normand Caron mentionne qu’elle aurait évoqué la somme de 1 MM $ pour procéder à la conversion de tous les horaires de faction restant sur le territoire du Québec.

Donc, visiblement, le sous-texte à comprendre est que la bouchée serait trop grande pour le gouvernement s’il décidait d’aller de l’avant avec un engagement de la sorte. Et en se basant strictement sur la norme du 28 h pour procéder à la conversion, on comprend que l’équité recherchée à laquelle François Legault faisait référence la semaine dernière n’est clairement pas rencontrée, les données de La Pocatière, Saint-Jean-Port-Joli et Témiscouata-sur-le-Lac démontrant qu’il suffit de quelques transports en plus ou en moins pour dépasser ce seuil ou glisser en dessous, d’une année à l’autre.

On peut néanmoins comprendre la frustration des paramédics de notre région qui aujourd’hui se font dire que les règles du jeu ont changé, alors qu’ils ont toujours joué selon les réglements initiaux et que cela aurait dû en temps normal, les récompenser depuis un bon moment. Dans pareil contexte, « l’équité » à laquelle François Legault fait aujourd’hui appel ne serait-elle pas de procéder à une réévaluation de tous les horaires de faction convertis depuis la mise en place du critère de 28 h en 2017, en fonction des nouveaux qu’il a récemment énoncés (population, délai d’intervention, distance des véhicules ambulanciers par rapport aux différents hôpitaux) ?

D’un autre côté, il est très réducteur de résumer l’enjeu des horaires de faction à des questions d’argent ou d’équité entre les régions, alors que la santé et la sécurité de la population devraient primer avant toute chose. D’autant plus que ces sommes ne semblent pas difficiles à trouver lorsqu’il s’agit d’améliorer les conditions de certains quarts d’emploi au sein du réseau de la santé, depuis le début de la pandémie de COVID-19. À même titre que les infirmières, les infirmières auxiliaires et les préposés aux bénéficiaires, les paramédics ne sont-ils pas, eux aussi, des intervenants de première ligne à considérer ? Le gouvernement profite-t-il de la nature privée des entreprises ambulancières, contrairement au réseau de santé public, pour semer la division entre elles en distribuant les bonbons selon ce qui est le plus payant électoralement ?

De plus, en quoi la vie des citoyens de Côte-du-Sud vaut-elle moins que d’autres pour justifier qu’on déploie des paramédics selon des horaires à l’heure à certains endroits, alors qu’ici on s’entête à maintenir depuis plus de 30 ans des horaires de faction ? Car disons-le, malgré toute la bonne volonté de ces paramédics de faction, la vérité est que leurs interventions seront toujours accompagnées d’un minimum de délais parfois déterminants en matière de séquelles permanentes ou de survie qu’ils pourraient occasionner chez les patients qu’ils prennent en charge.

François Legault a néanmoins demandé la semaine dernière aux paramédics de La Pocatière et de Saint-Jean-Port-Joli de faire preuve de patience, leurs dossiers sont à l’étude et des annonces sont prévues d’ici quelques mois. Raisons monétaires ou d’équité, une chose est sûre, toute cette histoire sent de plus en plus l’instrumentalisation politique à des fins électoralistes. Reste à savoir si la population de Kamouraska-L’Islet s’en souviendra le temps venu…